Le sauvage de Peyreverde

C'était vers 1810, à la veille de la désastreuse campagne contre la Russie, de Napoléon 1 er, alors à l'apogée de la gloire, et qui ordonna une levée en masse des hommes valides de 20 à 30 ans. Quatre jeunes gens du canyon se trouvèrent enrôlés mais préférèrent se cacher et vivre en réfractaires dans les gorges du Tarn. Toutes les perquisitions contre les insoumis demeurèrent vaines. Ces derniers vivaient en paix dans les bois de Peyreverde et les grottes de saint Pons et de saint Marcellin. Mais le Caussenard et Quiou dé Bouys se disputaient les faveurs de Marie, jolie brune de 22 ans, qui n'avait d'yeux que pour le Caussenard.
Furieux, jaloux et outré de dépit de se voir ainsi évincé, Quiou dé Bouys fit sa soumission et dévoila la retraite de son rival.

Le réfractaire fut alors expédié, avec son dénonciateur, en Allemagne où tous deux furent incorporés aux 700000 hommes de la Grande-Armée.

Cinq ou six ans s'écoulèrent alors sans que l'on eut la moindre nouvelle de nos deux patriotes dont les parents pensèrent qu'ils étaient morts sur le champ de bataille, ou victimes de leur rivalité vis à vis de la belle Marie ou encore dévorés par les loups dans les neiges de Sibérie.

Marie, quant à elle, certes éplorée de l'absence de son amoureux, mais ne voulant pas se payer de vaines espérances, épousa, sans trop se faire prier, l'heureux réfractaire qui, par miracle, avait évité l'enrôlement, et se fixa avec lui au Mas-de-Lafont.

Un soir d'été, tandis que les deux époux vaquaient aux travaux des champs, l'écho, au sein du crépuscule, s'empara d'un formidable cri qu'il amplifia et répéta aux falaises du Méjean et du Sauveterre :

<< Vive l'empereur ! En avant ! Marche ! >>

-Vive l'empereur ! répondaient les multiples échos de la vallée .
Les époux se regardèrent étonnés et inquiets lorsque, le lendemain, le même cri vint réveiller cent fois les échos de la gorge profonde .
Jean Dardé, aperçut un inconnu dont il s'approcha et en qui il reconnut alors Alexandre Venhet que l'on croyait disparu à tout jamais. Il l'interrogea, mais son ancien camarade lui répondait toujours par les mêmes cris : Vive l'empereur ! Sus aux Cosaques ! Chargez à la baïonnette !
Qu'était-il donc arrivé ? A la bataille de la Moskova, Alexandre s'était battu comme un lion aux cotés de son compagnon d'infortune qui, lui, avait été emporté par un boulet. Quelques temps après, le Caussenard était tombé de fatigue dans la neige. Les Cosaques l'avaient recueilli, ranimé, jeté dans un hospice et expédié dans les steppes de Sibérie.
Lorsque la paix fut signée, les prisonniers furent rendus. Alexandre Vernhet rentra en France, et il arriva dans sa maison, tout déguenillé, mourant de faim : "on aurait dit un vrai squelette, ne se mouvant que par ressort"

A la nouvelle que Marie avait épousé Jean, il roula tout à coup des yeux hagards, s'empara d'un fusil, se rendit à l'écurie, en amena une demi-douzaine de chèvres et partit pour le bois de Peyreverde, propriété de sa famille.
En passant sous le Pas-de-l'Arc, il se mit à crier à tue-tête :
Vive l'empereur ! Pays conquis ! Pillage ! Pillage !... Le pauvre Alexandre avait perdu la raison.
Et le malheureux Aristhée, pendant 40 ans, mena une vraie vie de sauvage dans les bois de Peyreverde. Le lait de ses chèvres constituait sa seule nourriture. De temps en temps, il faisait quelque apparition à saint Préjet des Vignes, sa paroisse natale. Dans les bois, une mauvaise peau lui servait de vêtement.

En présence d'un tableau si affligeant, Marie mourut bientôt d'une maladie de langueur. Depuis lors, l'histoire du Sauvage de Peyreverde est devenue inséparable de celle du vieux Castel qui existait en ces lieux et dont subsistent encore quelques ruines.

Traduction

frnlendeites